[14] printemps 2015
Trois semaines à bord d’un porte-conteneurs
[14] pages 3-6
Les conteneurs ont transformé l’aspect de tous les ports de la planète. Boîtes métalliques dans lesquelles un homme peut se tenir debout, presque aussi larges que hautes, et assez longues pour occuper un train routier ou un wagon de chemin de fer, ils sont le symbole d’un commerce désormais planétaire. Recyclables, normalisés, reconnus par tous les pays du monde, ils s’imposent contre l’ancien, détruisent les traditions des dockers, les habitudes des camionneurs, le travail des transbordeurs.
Les conteneurs ont transformé l’aspect de tous les ports de la planète. Boîtes métalliques dans lesquelles un homme peut se tenir debout, presque aussi larges que hautes, et assez longues pour occuper un train routier ou un wagon de chemin de fer, ils sont le symbole d’un commerce désormais planétaire. Recyclables, normalisés, reconnus par tous les pays du monde, ils s’imposent contre l’ancien, détruisent les traditions des dockers, les habitudes des camionneurs, le travail des transbordeurs.
L’Arménie de Moïse
[14] pages 8-13
Voskehat, République d’Arménie. Près de 3500 habitants et deux centenaires, Movses et Iskuhi Haneshyan, nés en 1910 et 1915. Ne leur demandez pas la date exacte – elle n’est pas non plus mentionnée sur leurs passeports. Ils sont nés dans l’Empire ottoman, à 900 kilomètres de là à vol d’oiseau, au Musa Dagh ou Mont Moïse en français, un massif peu élevé surplombant la Méditerranée, tout au sud de la Turquie actuelle près de la frontière syrienne. Témoignage, à l’occasion du centenaire du génocide arménien, commémoré ce 24 avril 2015.
Voskehat, République d’Arménie. Près de 3500 habitants et deux centenaires, Movses et Iskuhi Haneshyan, nés en 1910 et 1915. Ne leur demandez pas la date exacte – elle n’est pas non plus mentionnée sur leurs passeports. Ils sont nés dans l’Empire ottoman, à 900 kilomètres de là à vol d’oiseau, au Musa Dagh ou Mont Moïse en français, un massif peu élevé surplombant la Méditerranée, tout au sud de la Turquie actuelle près de la frontière syrienne. Témoignage, à l’occasion du centenaire du génocide arménien, commémoré ce 24 avril 2015.
La fin de l’autre monde
[14] page 15
L’avion atterrit sur la piste dans un fracas lourd d’attente, se mit à rouler à tombeau ouvert et freina juste à temps pour ne pas aller s’abîmer en mer. À chacun de ses retours, le frisson de ses suicides manqués l’effleurait. Les décollages à Charles de Gaulle et les atterrissages à Cristoforo Colombo se succédaient comme autant de répliques d’une farce inachevée: sa mort stupide et atroce. Il se demanda pourquoi il avait résisté, cette fois encore, à l’attrait paisible du train. Une lueur de réponse traversa son esprit sans laisser de trace. Résigné à l’idée d’avoir survécu, il se dirigea vers la sortie, fit au revoir de la main aux cérémonieuses hôtesses et descendit l’échelle en se dégourdissant les jambes. (…)
> La fin de l’autre monde (Éditions Noir sur Blanc)
L’avion atterrit sur la piste dans un fracas lourd d’attente, se mit à rouler à tombeau ouvert et freina juste à temps pour ne pas aller s’abîmer en mer. À chacun de ses retours, le frisson de ses suicides manqués l’effleurait. Les décollages à Charles de Gaulle et les atterrissages à Cristoforo Colombo se succédaient comme autant de répliques d’une farce inachevée: sa mort stupide et atroce. Il se demanda pourquoi il avait résisté, cette fois encore, à l’attrait paisible du train. Une lueur de réponse traversa son esprit sans laisser de trace. Résigné à l’idée d’avoir survécu, il se dirigea vers la sortie, fit au revoir de la main aux cérémonieuses hôtesses et descendit l’échelle en se dégourdissant les jambes. (…)
> La fin de l’autre monde (Éditions Noir sur Blanc)
Un refuge au cœur de la Suisse
[14] pages 16-19
Le couvent d’Einsiedeln, connu pour sa vierge noire, a accueilli cet hiver une trentaine de requérants d’asile erythréens. Une initiative originale et courageuse qui n’a pas été du goût de tout le monde.
Le couvent d’Einsiedeln, connu pour sa vierge noire, a accueilli cet hiver une trentaine de requérants d’asile erythréens. Une initiative originale et courageuse qui n’a pas été du goût de tout le monde.
Le journal de Robert Frank
[14] page 20-21
«Cheap, quick and dirty, that’s how I like it!» Catalogue éphémère? Fragile en tous les cas et qu’il convient paradoxalement de garder précieusement, d’autant qu’il s’agit d’ores et déjà d’une pièce d’exception.
«Cheap, quick and dirty, that’s how I like it!» Catalogue éphémère? Fragile en tous les cas et qu’il convient paradoxalement de garder précieusement, d’autant qu’il s’agit d’ores et déjà d’une pièce d’exception.
Godard et son truchement
[14] pages 23-29
Engagé à écrire dans La Couleur des jours sur Adieu au langage, j’entends «adieu au langage» non comme une disparition mais comme le salut familier à une connaissance de passage. «Adieu! Langage». J’ai dix jours pour cette entreprise. Je vais me mobiliser, compter sur les circonstances. Constater que, dès lors, les occasions vont se multiplier, qui me rapportent à Godard. Je suis entré dans le film, je suis porté par le film.
Engagé à écrire dans La Couleur des jours sur Adieu au langage, j’entends «adieu au langage» non comme une disparition mais comme le salut familier à une connaissance de passage. «Adieu! Langage». J’ai dix jours pour cette entreprise. Je vais me mobiliser, compter sur les circonstances. Constater que, dès lors, les occasions vont se multiplier, qui me rapportent à Godard. Je suis entré dans le film, je suis porté par le film.
Un onagre
[14] pages 31-35
Il n’aurait jamais cru connaître le vertige. Gosse, il avait couru les toits avec son père, puis seul. Il aimait encore les échafaudages, les arbres et, d’ordinaire, ne craignait pas de regarder en bas. Pourtant, Denis se trouve d’un coup bloqué, vaincu à mi-parcours sur les haubans, tétanisé par la combinaison de la hauteur et du mouvement. (…)
Il n’aurait jamais cru connaître le vertige. Gosse, il avait couru les toits avec son père, puis seul. Il aimait encore les échafaudages, les arbres et, d’ordinaire, ne craignait pas de regarder en bas. Pourtant, Denis se trouve d’un coup bloqué, vaincu à mi-parcours sur les haubans, tétanisé par la combinaison de la hauteur et du mouvement. (…)
Prix suisses de littérature
[14] pages 36-40
Depuis 2012, les Prix suisses de littérature révèlent la belle diversité des écritures à l’œuvre dans les régions linguistiques du pays. En 2015, sept auteurs sont primés pour un ouvrage publié durant l’année écoulée. En partenariat avec Bibliomedia, qui organise ce printemps des lectures de ces textes à travers la Suisse romande, La Couleur des jours publie des fragments, inédits en langue française, des ouvrages de Dorothee Elmiger, Eleonore Frey, Hanna Johansen, Guy Krneta et Claudia Quadri. Deux Romands figurent également parmi les lauréats: Noëlle Revaz (L’Infini livre, Éditions Zoé) et Frédéric Pajak (Manifeste incertain 3, Éditions Noir sur Blanc).
Depuis 2012, les Prix suisses de littérature révèlent la belle diversité des écritures à l’œuvre dans les régions linguistiques du pays. En 2015, sept auteurs sont primés pour un ouvrage publié durant l’année écoulée. En partenariat avec Bibliomedia, qui organise ce printemps des lectures de ces textes à travers la Suisse romande, La Couleur des jours publie des fragments, inédits en langue française, des ouvrages de Dorothee Elmiger, Eleonore Frey, Hanna Johansen, Guy Krneta et Claudia Quadri. Deux Romands figurent également parmi les lauréats: Noëlle Revaz (L’Infini livre, Éditions Zoé) et Frédéric Pajak (Manifeste incertain 3, Éditions Noir sur Blanc).
Les tribulations du sein d’Agathe
[14] pages 42-43
J’ai toujours gardé un souvenir émerveillé des seins d’Agathe, mon premier grand amour. Ils semblaient rire à la vie perpétuellement et vouloir offrir à tout un chacun les fruits mûrs à cueillir d’un bonheur non dissimulé. Tout comme sa lointaine compatriote éponyme, Agathe était originaire de la province de Catane. Elle n’avait néanmoins que peu de points communs avec cette fille de noble famille, sacrifiée sur l’autel d’un amour immodéré pour Jésus, auquel elle s’était chastement donnée corps et âme, refusant les avances passionnées et maladives de Quintien, le proconsul de Sicile. (…)
J’ai toujours gardé un souvenir émerveillé des seins d’Agathe, mon premier grand amour. Ils semblaient rire à la vie perpétuellement et vouloir offrir à tout un chacun les fruits mûrs à cueillir d’un bonheur non dissimulé. Tout comme sa lointaine compatriote éponyme, Agathe était originaire de la province de Catane. Elle n’avait néanmoins que peu de points communs avec cette fille de noble famille, sacrifiée sur l’autel d’un amour immodéré pour Jésus, auquel elle s’était chastement donnée corps et âme, refusant les avances passionnées et maladives de Quintien, le proconsul de Sicile. (…)
Chronique