[19] été 2016
Une semaine à Calais
[19] pages 3-12
Du 29 mars au 4 avril 2016, j’ai fait du volontariat dans les camps de réfugiés à Calais et Dunkerque. J’y suis allé parce qu’une amie l’avait fait et m’avait dit «si nous n’y allons pas, ces gens meurent». Je me suis dit que si elle avait réussi à y aller seule, je pouvais moi aussi avoir ce courage. Et que je le devais à mon humanité. Pendant ces sept jours, j’ai tenu un journal, que j’ai envoyé chaque soir à quelques amis proches.
Du 29 mars au 4 avril 2016, j’ai fait du volontariat dans les camps de réfugiés à Calais et Dunkerque. J’y suis allé parce qu’une amie l’avait fait et m’avait dit «si nous n’y allons pas, ces gens meurent». Je me suis dit que si elle avait réussi à y aller seule, je pouvais moi aussi avoir ce courage. Et que je le devais à mon humanité. Pendant ces sept jours, j’ai tenu un journal, que j’ai envoyé chaque soir à quelques amis proches.
Au Pirée, purée
[19] page 13
À l’ingénieur d’Alep
Qui chausse du 43
Tu donnes du 41
Parce qu’il n’y a plus de 43.
Au père de famille du Sinjar
Qui demande une ration
supplémentaire
Tu dis
«One meal a day, man».
Et le type du Sinjar dit OK
Et il retourne sous sa tente.
(…)
À l’ingénieur d’Alep
Qui chausse du 43
Tu donnes du 41
Parce qu’il n’y a plus de 43.
Au père de famille du Sinjar
Qui demande une ration
supplémentaire
Tu dis
«One meal a day, man».
Et le type du Sinjar dit OK
Et il retourne sous sa tente.
(…)
L’homme de la gare de Lausanne
[19] page 15
Tu étais avec Vincent en face de la gare, à l’une des tables de la terrasse de Bella Vita, vous vouliez boire une dernière bière avant son train pour Fribourg, il pleuvait et vous étiez à l’abri, les serveurs étaient très occupés avec les clients qui se trouvaient à l’intérieur de la pizzeria. (…)
Tu étais avec Vincent en face de la gare, à l’une des tables de la terrasse de Bella Vita, vous vouliez boire une dernière bière avant son train pour Fribourg, il pleuvait et vous étiez à l’abri, les serveurs étaient très occupés avec les clients qui se trouvaient à l’intérieur de la pizzeria. (…)
Rue des Gares et autres lieux rêvés
[19] pages 16-17
De l’Îlot 13 je suis le roi. Cela il ne viendrait à l’esprit de personne de le contester. Car c’est une royauté faite de constante abdication. Et sous ce rapport, on pourrait même dire qu’il s’agit d’une abdication d’avant le couronnement, rendant celui-ci et son cortège de fastes parfaitement inutiles et non avenus. Cependant le peuple, toujours porté à la dévotion, aime les bons rois. Il en résulte par exemple que la maison que j’occupe, tout en n’en étant nullement propriétaire, située comme il se doit à l’exact centre du royaume, porte mon nom, tel un lieu-dit des lointaines vallées, et l’on ne saurait trouver un seul habitant des îles Fidji qui ne la connaisse, ne serait-ce que par ouïdire. (…)
> Rue des Gares et autres lieux rêvés (Éditions Héros-Limite)
De l’Îlot 13 je suis le roi. Cela il ne viendrait à l’esprit de personne de le contester. Car c’est une royauté faite de constante abdication. Et sous ce rapport, on pourrait même dire qu’il s’agit d’une abdication d’avant le couronnement, rendant celui-ci et son cortège de fastes parfaitement inutiles et non avenus. Cependant le peuple, toujours porté à la dévotion, aime les bons rois. Il en résulte par exemple que la maison que j’occupe, tout en n’en étant nullement propriétaire, située comme il se doit à l’exact centre du royaume, porte mon nom, tel un lieu-dit des lointaines vallées, et l’on ne saurait trouver un seul habitant des îles Fidji qui ne la connaisse, ne serait-ce que par ouïdire. (…)
> Rue des Gares et autres lieux rêvés (Éditions Héros-Limite)
Hop Suisse! Une histoire de coups de pied
[19] pages 19-22
En septembre 2014, je suis envoyé par la radio à Seedorf, dans le canton d’Uri. Là se déroule un camp d’entraînement de l’équipe suisse de foot des «sans-abri». Je passe une journée entière à essayer de com prendre la nature de cette équipe composée de deux punks d’Olten (deux frères à la crête fuchsia), un jeune qui a grandi sans parents dans des institutions pour «enfants difficiles», deux ex-toxicomanes, un gars avec des problèmes d’épilepsie et deux requérants d’asile (un Afghan et un Érythréen, les seuls du groupe à ne pas fumer). Il ne s’agit pas de foot «ordinaire» mais néanmoins de «vrais» sportifs. Je tombe amoureux.
En septembre 2014, je suis envoyé par la radio à Seedorf, dans le canton d’Uri. Là se déroule un camp d’entraînement de l’équipe suisse de foot des «sans-abri». Je passe une journée entière à essayer de com prendre la nature de cette équipe composée de deux punks d’Olten (deux frères à la crête fuchsia), un jeune qui a grandi sans parents dans des institutions pour «enfants difficiles», deux ex-toxicomanes, un gars avec des problèmes d’épilepsie et deux requérants d’asile (un Afghan et un Érythréen, les seuls du groupe à ne pas fumer). Il ne s’agit pas de foot «ordinaire» mais néanmoins de «vrais» sportifs. Je tombe amoureux.
De seconde classe
[19] pages 23-25
Maintenant, tu te trouves à Rijeka. Rijeka pourquoi? Rijeka parce qu’il faut avoir un nom de lieu pour situer les personnages, les scènes qui se jouent dans les trains internationaux variant en fonction de l’endroit où se trouvent les gens qui voyagent, de leur pays d’origine et de leur destination finale. C’est le début de l’après-midi, en été, le train lézarde depuis un bon moment, recueillant, collectant, conservant toute la chaleur du zénith. Quand tu entres c’est une étuve, l’heure a comme une odeur d’éternité moite. Tu as beau essayer de t’éventer dans l’intention de te rafraîchir, inutile, tu transpires, tu te liquéfies, tes habits collent, colleront, adhèrent à la peau, y resteront en ventouse jusqu’à ce moment privilégié qui ne viendra jamais, le départ du train qu’il faut attendre patiemment, indéfiniment, sans quitter son siège, surtout, car il y a apparemment beaucoup d’amateurs, et, comme ton avenir c’est une bonne douzaine d’heures de train, tu n’as pas envie de rester debout. (…)
> De seconde classe (Éditions d’en bas)
Maintenant, tu te trouves à Rijeka. Rijeka pourquoi? Rijeka parce qu’il faut avoir un nom de lieu pour situer les personnages, les scènes qui se jouent dans les trains internationaux variant en fonction de l’endroit où se trouvent les gens qui voyagent, de leur pays d’origine et de leur destination finale. C’est le début de l’après-midi, en été, le train lézarde depuis un bon moment, recueillant, collectant, conservant toute la chaleur du zénith. Quand tu entres c’est une étuve, l’heure a comme une odeur d’éternité moite. Tu as beau essayer de t’éventer dans l’intention de te rafraîchir, inutile, tu transpires, tu te liquéfies, tes habits collent, colleront, adhèrent à la peau, y resteront en ventouse jusqu’à ce moment privilégié qui ne viendra jamais, le départ du train qu’il faut attendre patiemment, indéfiniment, sans quitter son siège, surtout, car il y a apparemment beaucoup d’amateurs, et, comme ton avenir c’est une bonne douzaine d’heures de train, tu n’as pas envie de rester debout. (…)
> De seconde classe (Éditions d’en bas)
Moi S., enfant de théâtre et homme de chœur
[19] pages 25-26
Mon initiation au théâtre aura pris d’étranges chemins. Ce goût précoce de la comédie n’était certainement pas inné et je l’ai sans doute acquis durant mes jeunes années, alors que j’étais enfant de choeur dans une paroisse catholique de la région.
Mon initiation au théâtre aura pris d’étranges chemins. Ce goût précoce de la comédie n’était certainement pas inné et je l’ai sans doute acquis durant mes jeunes années, alors que j’étais enfant de choeur dans une paroisse catholique de la région.
Explorations lithographiques
[19] pages 26-27
C’était au début des années 1980. Lorsque Dürrenmatt est venu pour la première fois à l’atelier d’impression de la Galerie Erker, il m’a demandé ce que je fabriquais avec ces «gros cailloux». Il était très intéressé d’apprendre comment la lithographie fonctionnait. Il voulait savoir exactement pourquoi l’encre grasse utilisée pour la lithographie et l’eau appliquée sur la pierre à l’aide d’une éponge se repoussaient, quel était le liquide que j’appliquais sur la pierre et à quoi il servait. À ce moment, j’ignorais encore que Dürrenmatt, en plus d’écrire, peignait et dessinait.
C’était au début des années 1980. Lorsque Dürrenmatt est venu pour la première fois à l’atelier d’impression de la Galerie Erker, il m’a demandé ce que je fabriquais avec ces «gros cailloux». Il était très intéressé d’apprendre comment la lithographie fonctionnait. Il voulait savoir exactement pourquoi l’encre grasse utilisée pour la lithographie et l’eau appliquée sur la pierre à l’aide d’une éponge se repoussaient, quel était le liquide que j’appliquais sur la pierre et à quoi il servait. À ce moment, j’ignorais encore que Dürrenmatt, en plus d’écrire, peignait et dessinait.
Et souviens-toi que je t’attends
[19] pages 30-31
C’est un livre de tristesse, d’hébétude, de solitude, d’attente. Et de l’expérience de la vie qui va, de la résilience, du deuil qui sait prendre les traits terriblement paradoxaux de la renaissance. Atmosphère du temps d’un malaise, d’un mal être général. Un livre de la photographe Elina Brotherus.
C’est un livre de tristesse, d’hébétude, de solitude, d’attente. Et de l’expérience de la vie qui va, de la résilience, du deuil qui sait prendre les traits terriblement paradoxaux de la renaissance. Atmosphère du temps d’un malaise, d’un mal être général. Un livre de la photographe Elina Brotherus.
Frankenstein à Shillong
[19] pages 32-33
Shillong est cosmopolite, folk et moderne. Les gens parlent anglais à la maison et ne se sentent pas tout à fait appartenir au continent indien. Pas de saris dans les rues, les femmes préfèrent s’habiller à l’occidentale et furent les premièdes à lancer la mode des cheveux courts. On y croise des philosophes, des musiciens, quelques vampires, Kennedy, Shakespeare, Winnerson, Modify, Toilet, Switzerland, Kissmequickely et Londonbridge. Vous ne me croyez pas? Demandez donc à Frankenstein et Adolf Lou Hitler, ils ne sont pas aussi méchants qu’ils en ont l’air.
Shillong est cosmopolite, folk et moderne. Les gens parlent anglais à la maison et ne se sentent pas tout à fait appartenir au continent indien. Pas de saris dans les rues, les femmes préfèrent s’habiller à l’occidentale et furent les premièdes à lancer la mode des cheveux courts. On y croise des philosophes, des musiciens, quelques vampires, Kennedy, Shakespeare, Winnerson, Modify, Toilet, Switzerland, Kissmequickely et Londonbridge. Vous ne me croyez pas? Demandez donc à Frankenstein et Adolf Lou Hitler, ils ne sont pas aussi méchants qu’ils en ont l’air.
Toêêge
[19] pages 34-35
Il y a sur la route pour Koudougou un baobab que j’affectionne tout particulièrement. Il fait comme une parenthèse à mon destin, comme un soupir qui suspend l’effervescence du monde. Si je devais nommer un seul des secrets de ma résilience ici, ce serait lui.
Il y a sur la route pour Koudougou un baobab que j’affectionne tout particulièrement. Il fait comme une parenthèse à mon destin, comme un soupir qui suspend l’effervescence du monde. Si je devais nommer un seul des secrets de ma résilience ici, ce serait lui.
Chronique