[26] printemps 2018
La face cachée de l’iceberg
[26] pages 3-9

Trois avions et un hélicoptère séparent Genève d’Ittoqqortoormiit, aux portes du Scoresbysund, le plus grand système de fjords au monde, sur la côte est du Groenland. Dès le deuxième vol, mon avion a troqué ses réacteurs contre des hélices et l’aéroport n’a plus qu’une seule petite piste. Le voyage dure quarante-huit heures, durant lesquelles je crois mourir de peur dans des appareils de plus en plus petits. Il faut dire que j’ai une trouille bleue de tout ce qui prétend pouvoir voler sans plumes. Dans le troisième avion, nous sommes six, la cabine est ouverte sur le cockpit et les deux pilotes gesticulent avec leurs sandwichs, juste au-dessus du manche à balai. Je retrouve la terre ferme avec l’impression vivifiante d’avoir déjoué le sort.
Marie Geiser
O Mavros / Bosco le sombre
[26] pages 10-11

Il fait froid. La pluie tombe sans discontinuer, de cette façon si particulière qu’elle a de le faire ici, s’accompagnant de brutales bourrasques glaciales d’un vent venu du nord. Elle est abrupte, compacte, impitoyable, comme si toute la colère des dieux s’abattait sur le village. Avec le temps, les arbres eux-mêmes se sont pliés à cette violence et restent désormais couchés, le regard perdu vers le sud, d’où la chaleur finit toujours par revenir.
(…)
La truffe de Bosco est noire comme son corps entier. Noire et sèche. De très près, on dirait une terre cuite par le soleil. Semée de petites plaques noires, comme de minuscules cratères. En prenant de la distance, on distingue une forme. Comme des trompes de Fallope, en coupe sombre. Il y a des trous, à l’intérieur. On la voit parfois frémir, bouger. Elle est vivante, mobile, elle lui sert d’yeux, d’oreilles, de capteur et d’antennes.
Carina Carballo, Philippe Constantin, Jérôme Stettler
Flow
[26] pages 13-15

Flow, c’est un voyage au fil de l’eau, entre deux Bydgoszcz. La première est la ville de Pologne où vit Tymon Markowski depuis son enfance. C’est là que la Brda termine son cours en se jetant dans la Vistule. En remontant la rivière, le photographe a découvert un village du même nom à sa source. Entre deux, il nous raconte des histoires simples et extraordinaires.
Tymon Markowski
Libre
[26] pages 16-17

Depuis 2012, Thomas Brasey cherche ce qu’il reste, dans le territoire, dans les êtres, de ce combat qui a conduit à la naissance du 23e canton suisse, le Jura. Il rejoue aussi les hauts faits des autonomistes, et particulièrement du Groupe Bélier. Il a appelé sa série Libre. Quête de la liberté et quête du bonheur ne sont-elles qu’une? Le bonheur n’est-il pas dans la quête? Et que fait-on alors une fois la liberté obtenue?
Thomas Brasey
Amicezia
[26] pages 18-19

Amicezia est un mot romanche pour dire l’amour et l’amitié. C’est le premier travail personnel de Jaromir Kreiliger qui a grandi dans ces paysages de la Surselva, dans les Grisons. S’il rend la beauté des lieux, il en dit aussi son vécu, qui n’est pas celui des guides touristiques. 
Jaromir Kreiliger
La conquête du silence
[26] pages 22-23

Il y a des livres dont les photographies semblent taciturnes et immobiles. Les apparences savent être trompeuses. Les images sont parfois habitées d’une énergie retenue, d’autant retenue qu’elles possèdent une puissance de défla­gration insoupçonnée. C’est le cas d’Everglades, le livre des photographies prises par Jungjin Lee dans les marais du sud de la Floride.
Jean Perret
Prix suisses de littérature
[26] pages 24-27

Le 15 février à Berne, dans la grande salle de la Bibliothèque nationale, sept écrivains se voyaient remettre, dans le doux foisonnement des langues, les Prix suisses de littérature 2018. En partenariat avec l’Office fédéral de la culture et Bibliomedia, nous publions des fragments des ouvrages de Fabiano Alborghetti, Dumenic Andry, Michael Fehr, Yael Inokai et Friederike Kretzen, encore inédits en français. Sont aussi lauréats les auteurs romands Baptiste Gaillard (Un domaine des corpuscules, Hippocampe) et Jérôme Meizoz (Faire le garçon, Zoé), et la traductrice Yla M. von Dach. Anna Felder a reçu le Grand Prix suisse de littérature pour l’ensemble de son œuvre. La Couleur des jours propose également de découvrir un extrait d’un de ses premiers romans.
Fabiano Alborghetti, Dumenic Andry, Michael Fehr, Yael Inokai, Friederike Kretzen
Sous l’œil du chat
[26] page 28

J’étais un chat impartial: si l’on m’ap­pelait, que ce soit le vieux ou quelqu’un d’autre, j’y allais, pourvu qu’il y eût une raison. Ou alors j’attendais que ce soit eux qui viennent vers moi. J’attendais et je me disais «voyons voir un peu». (…)
Anna Felder
Dans mon corps
[26] pages 30-31

> Dans mon corps (Éditions La Joie de lire)
Mirjana Farkas
Journal d’un amateur de fantômes
[26] page 32

Mon voisin aveyronnais me raconte une histoire de fantômes qu’il tient de son grand-père: Au temps où les M. vivaient encore dans la maison vieille, qui n’avait pas l’électricité (ils ont depuis fait bâtir une maison en parpaings), la famille avait coutume de se rassembler chaque soir devant la cheminée pour veiller. Il faut imaginer le grand-père, sa femme et leurs nombreux enfants en demi-cercle, serrés les uns contre les autres devant la source lumineuse du foyer, avec la nuit et le silence tout autour. (…)

> Journal d’un amateur de fantômes (Éditions La Baconnière)
Daniel Sangsue
[Signes] de la contestation
[26] pages 33-41

Alors qu’ils sont nés parmi les tags et les grafs, qu’ils ont grandi avec l’information en ligne et communiquent avec les applications de leurs téléphones mobiles, alors qu’ils se préparent à travailler dans un monde en constante évolution technologique, des étudiants en communication visuelle de la HEAD-Genève ont eu l’occasion cet hiver de fouiller des archives, de rencontrer des témoins d’une époque où l’on se signalait autrement. Et où faire signe, c’était souvent contester. Nous donnons dans ces pages quelques idées du travail qu’ils ont développé à partir de leurs recherches. À l’occasion du cinquantenaire de Mai 68, tout ce cahier a été conçu en écho.
Michel Wlassikoff
Mourir debout
[26] pages 37-41

Au terme d’une soixantaine d’années d’engagement politique, je me retourne pour voir d’où je viens, et je rassemble des fragments, des vestiges, des nostalgies, des enthousiasmes un peu émoussés, des combats fossilisés par le temps, pour les encastrer dans un présent qui les reconnaît encore comme étant de la même veine, de la même chair, de la même espérance, de la même volonté de changer le monde. (…)¨

> Mourir debout (Éditions d’en bas)
Anne-Catherine Menétrey-Savary
Chaïm Nissim, un écologiste insoumis
[26] pages 42-43

C’est notre dernière promenade, mais je ne le sais pas encore. Les fleurs forment des petites explosions de couleur autour de lui et pourtant, il a un air triste. Il a les yeux globuleux, comme s’il ne s’était pas passé de l’eau sur le visage avant de partir. Quand je lui demande pourquoi son œil droit pleure sans cesse, il me répond que «le canal lacrymal ne se ferme plus». Il a les cheveux en queue de rat, assez foncés, il se les coupe lui-même. Quelques cheveux gris sont apparents, mais très peu.

> Un écologiste insoumis (Slatkine)
Cléo Jansen
 
La peur de l’ombre
[26] page 43

Pour le sécuriser dans la transparence, l’espace social est aujourd’hui livré à l’inspection généralisée. À la vidéosurveillance qui augmente son emprise quotidienne sur les villes s’ajoutent les portiques de sécurité (aéroports, gares) et les machines de reconnaissance faciale.
Michel Porret
La Suisse de travers (II)
[26] pages 45-63

Tant qu’on n’a pas traversé la Suisse à pied on ne peut en dire que des généralités. C’est pourtant simple: en seize étapes de deux jours on passe de Porrentruy à Chiasso en suivant un chemin bien balisé avec des écriteaux qui portent le numéro 2 dans un carré vert sur fond jaune. Pour ne pas faire seul le chemin, j’ai emmené seize compagnons de route, un par étape, qui ont agrémenté le trajet. Qui préfère un parcours ouest-est, de Genève à Rorschach, plutôt que nord-sud, se reportera à La Couleur des jours n° 20, automne 2016.

De Porrentruy à Soubey avec Stendhal
De Soubey à Saint-Imier avec Werner Renfer
De Saint-Imier à Neuchâtel avec Agota Kristof
De Neuchâtel à Laupen avec Gonzague de Reynold
De Laupen à Worb avec Victor Hugo
De Worb à Langnau avec Jeremias Gotthelf
De Langnau à Schangnau avec Horace-Bénédict de Saussure
De Schangnau à Giswil avec Lénine
De Giswil à Stans avec Nicolas de Flüe
De Stans à Isleten avec Gottfried Keller
D’Isleten à Göschenen avec Goethe
De Göschenen à Airolo avec Arthur Rimbaud
D‘Airolo à Anzonico avec Élisée Reclus
D’Anzonico à Bellinzone avec Max Frisch
De Bellinzone à Morcote avec Hermann Hesse
De Morcote à Chiasso avec Honoré de Balzac
Daniel de Roulet
 
Chronique
Jean-Louis Boissier, Yann Courtiau
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