[28] automne 2018
Palerme, jardin du monde
[28] pages 3-6

Voyageant à travers l’Europe et l’Amérique du Sud et survivant à la violence des hommes comme aux catastrophes naturelles, le Candide de Voltaire finit, par une longue chaîne de causes à effets, dans une métairie en Turquie, se délectant de cédrats confits et de pistaches. Et répétant à qui veut l’entendre la leçon qu’il tient d’un vieux paysan: «Il faut cultiver son jardin». Sous-entendu, cela vaut mieux que de se mêler des affaires du monde. Cet été, en Sicile, où le cédrat et la pistache embaument les recettes, Manifesta 12 nous invite à cultiver ensemble le jardin planétaire.
Jean-Louis Boissier, Élisabeth Chardon
L’autre rive
[28] pages 8-9

Un projet couleur de mer. Ces flots que la grand-mère d’Emeric Lhuisset, quittant l’Europe en guerre, a traversé pour se réfugier en Afrique du Nord, d’autres tentent de les traverser aujourd’hui. Certains y disparaissent. Très impliqué dans les zones de guerre, en Irak, en Syrie, en Afghanistan, le photographe s’y est fait des amis qui ont parfois entrepris ce voyage. Tous ne sont pas arrivés de notre côté. Il parle des uns et des autres dans ces images de vie quotidienne. Tirées selon le procédé du cyanotype, non fixées, celles-ci perdent peu à peu leur sujet, se transformant en monochromes bleus à la lumière. L’autre rive a reçu le Grand Prix Images Vevey – mention reportage Leica. Les images vivront leur effacement durant le festival.
Emeric Lhuisset
Lumières dans la steppe
[28] pages 10-14

Le métier d’artiste permet parfois des plongées au sein d’univers singuliers, dont l’entrée se cache dans les marges de notre grand monde globalisé. Cet été, j’étais invitée en Mongolie par Land Art Mongolia (LAM 360°), une biennale d’art qui se tient à chaque fois dans une région différente du pays. Elle est organisée par une ONG établie à Ulan-Bator, dont le but est de sensibiliser le public à des sujets comme la durabilité, la culture nomade et la démocratie au moyen de l’art contemporain. Les vingt-cinq artistes sont réunis durant dix jours au cœur de la steppe mongole pour y réaliser des projets conçus spécialement pour l’occasion.
Sophie Guyot
Chris the Swiss
[28] pages 17-19

Sélectionné par la Semaine de la critique au 71e Festival de Cannes, ce premier long métrage d’Anja Kofmel a été accueilli dans une dizaine d’autres festivals, dont Locarno cet été. Il mêle images réelles et animation pour évoquer les violences de la guerre en ex-Yougoslavie, telles qu’elles ont atteint la réalisatrice, alors enfant, et sa famille. La cinéaste en propose ici quelques moments.
Anja Kofmel, Jean Perret
Mémoire de guerre
[28] pages 20-24

Quand les hommes installés en bout de table, faute de sujets neufs, entamaient la litanie des «tu te souviens», ma grand-mère laissait échapper en un soupir las: «c’est reparti». Suivait une sentence incisive: «comme en 14»! Il lui arrivait, elle aussi, de reprendre le récit du père Juzot, son voisin: «j’tuin les boches, les boches nous tuin, ça avançait à rien». La guerre, la Grande, la Seconde et celle d’Algérie, la maison en était pleine, j’étais petit, j’en avais peur. (…)
Claude-Hubert Tatot
Adieu vieille Europe
[28] pages 25-27

Les documents, objets et photographies qui constituent la matière première d’Adieu vieille Europe sont issus de la collection personnelle du photographe François Wavre, collection née de la sidération éprouvée à la lecture d’un premier courrier acheté par hasard.
Chris Gautschi, François Wavre
Des vœux princiers pour son A. Sérénissime!
[28] pages 29-30

Le 24 septembre 1993, le journaliste et écrivain Nicolas Meienberg se donnait la mort, à 53 ans. Vingt-cinq ans plus tard, La Couleur des jours a souhaité rappeler son souvenir. En hommage, certes, mais aussi parce que relire Nicolas Meienberg permet de nourrir les réflexions indispensables à la presse. Comment et pourquoi faire du journalisme aujourd’hui en Suisse ? Il ne s’agit pas d’affirmer que toutes les solutions se trouvent dans les textes de l’auteur alémanique. Il reste que la manière dont il pouvait s’accrocher au long cours à des dossiers délicats, l’impertinence avec laquelle il débusquait les petits et grands travers des puissants, son talent pour instiller dans de longs récits des pointes d’un humour assassin, tout cela en a stimulé plus d’un et pourrait aujourd’hui encore régénérer quelques rédactions.

Le texte de 1976 que nous publions – inédit en français – lui a valu de ne plus pouvoir écrire dans le quotidien zurichois TagesAnzeiger. Ceux qui avaient l’habitude de le lire disent qu’à partir de là ses reportages littéraires, souvent ancrés dans l’Histoire, ont été encore plus fouillés, plus soignés. Le plus célèbre, L’exécution du traître à la patrie Ernst S., a aussi donné lieu à une collaboration avec le cinéaste Richard Dindo.
Nicolas Meienberg
Nos rêves sont plus longs que vos nuits
[28] pages 32-35

Raison d’être de l’agence à ses débuts et sujets omniprésents dans les archives du groupe, les luttes sont au cœur de ce dixième ouvrage du collectif Interfoto. Cette plongée dans la Suisse romande militante des quarante dernières années est l’occasion de constater à quel point la rue n’est, aujourd’hui et par comparaison, plus aussi souvent qu’avant le lieu des luttes.
 Interfoto
L’éphémère et son immortalité
[28] pages 36-37

Quel jardin extraordinaire que ce livre de 554 pages, Encyclopedia of Flowers III. Quelle découverte le seuil franchi, toutes ces pages retiennent avec peine leurs 177 assemblages floraux luxuriants et gorgés des couleurs du paradis. Toutes ces fleurs sautent aux yeux, accaparent l’attention, suspendent la respiration. L’ouvrage de cette beauté plus grande que la vie est d’ores et déjà épuisé chez l’éditeur!
Jean Perret
Entailles et profils
[28] pages 38-39

Le deuxième volume des Œuvres complètes de Werner Renfer (1898-1936) paraît cet automne. La Couleur des jours en propose quelques extraits témoignant des divers talents de l’écrivain, poète et journaliste jurassien à qui elle a emprunté son nom. L’incroyable progression dramatique d’Histoire de Marie et la douce ironie d’une chronique parlementaire encadrent ici un poème bucolique.

> Entailles et Profils. Œuvres complètes, vol. 2
(Éditions Infolio)
Werner Renfer
Nuit américaine
[28] pages 40-42

Un malaise, ça arrive à tout le monde, ne t’en fais pas. C’est vrai que tu travailles trop, non? Qu’en penses-tu? Qu’en pensait-il? Rien, ou pas grand-chose, en l’occurrence. Surtout, il essayait de ne pas croiser le regard de son chef, narquois et inquisiteur; on l’appelait la hyène, dans les corridors de la rédaction (c’était bien trouvé). (…)

> Nuit américaine (Éditions d’en bas)
Lou Lepori, Jérôme Stettler
L’écrivain face à son public
[28] page 44

L’écriture a toujours été pour moi une activité solitaire. Je n’arrive pas vraiment à réfléchir ni à imaginer si je ne suis pas seul. Certains écrivains aiment faire partie de cercles littéraires ou travailler à des tables de bistrot: je préfère quant à moi m’isoler pour écrire. De même, je ne parle presque jamais de mes histoires aux autres, y compris à mes amis les plus proches, et lorsque je rencontre une personne pour la première fois et qu’elle me demande ce que je fais dans la vie, je mentionne tout sauf l’écriture.
Jeremy Ergas
Un siècle d’affiches pour 70 ans de Cinémathèque
[28] pages 45-49

En 1948, des membres du Ciné-club de Lausanne lançaient ce qui allait devenir une des plus prestigieuses collections de films au monde. Pour l’anniversaire de la Cinémathèque suisse, le Musée d’art de Pully met en valeur un trésor moins connu, la collection d’affiches de l’institution. L’exposition permet à Gianni Haver, commissaire invité, et à Victoria Mühlig, conservatrice, de raconter quelques épisodes de la relation passionnante entre le 7e art et son principal outil de promotion.
Gianni Haver, Victoria Mühlig, Sophie Pujol
Compter sur ses doigts
[28] pages 50-52

Le Livre d’image est le nom d’un événement poétique dont Lausanne connaît les suites dès novembre 2018. Film énigmatique, film révolutionnaire, suprême objet d’art, il aura connu une condition de pauvreté transformée en situation de fortune. Son auteur, Jean-Luc Godard, s’est vu décerner, au festival de Cannes, une «palme d’or spéciale», attribut sans précédent. Le rappel d’un parcours d’une inventivité magistrale, pas plus que la dissection du film, ne sauraient fournir les clés d’une telle singularité. Godard l’énonce lui-même: «Dire c’est la clé, c’est oublier la serrure, c’est oublier l’image.» Essayons de former une suite d’images.
Jean-Louis Boissier
David Lynch cinéaste et graveur
[28] pages 53-55

Automne lynchéen en Suisse romande. La Cinémathèque suisse propose une rétrospective intégrale, qui accompagne deux expositions de cet artiste pluridisciplaire. La première est au Musée Alexis Forel, à Morges, qui fête son centenaire en montrant lithographies et gravures récentes. La seconde est proposée par la Fondation Fellini, à Sion. David Lynch y rend hommage au cinéaste italien rencontré à la toute fin de sa vie, avec des lithographies inédites.
Maxime Morisod
 
Chronique
Jean-Louis Boissier, Yann Courtiau
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