[30] printemps 2019
Ouverture
[30] page 3
Jérôme Stettler
«Ne mourrons pas fatigués»
[30] pages 4-7

Photographe de l’agence VU, Bruno Boudjelal est l’invité du 17e FIFDH, Festival du film et forum international sur les droits humains. Accueilli en résidence par la commune de Meyrin, il est allé à la rencontre de migrants pour recueillir leurs témoignages. Ceux-ci forment 28 diptyques photographiques – en principe un portrait et un objet – accompagnés d’un court texte. Un principe initié pour une première série à Marseille, où le photographe a passé du temps avec Doumbia Épée, parti du Cameroun à 15 ans pour parvenir encore mineur en Europe, et qui a mis cinq ans pour faire le voyage. Ses compagnons d’infortune et lui avaient compris que la fatigue leur amenait encore plus de problèmes. «Nous avions une sorte de maxime qui disait que même si la mort est au bout du chemin, nous ne mourrons pas fatigués!». Bruno Boudjelal a gardé telle quelle sa maxime comme titre.
Bruno Boudjelal
Un mektoub de photographe
[30] page 8

Depuis un quart de siècle, les images de cet homme provoquent des coups de cœur alors que la plupart d’entre elles ont été prises avec les appareils les plus dérisoires et que lui-même est devenu photographe un peu malgré lui. Récit en quatre épisodes et autant d’appareils.
Élisabeth Chardon
Mille et un photographes
[30] pages 10-11

Le 8 juin 1968, le photographe américain Paul Fusco est dans le train funéraire transportant, de New York à Washington, la dépouille du sénateur et candidat à l’élection présidentielle Robert F. Kennedy, assassiné trois jours plus tôt. Empêché de prendre des images à l’intérieur, il tourne son appareil vers les milliers de gens au bord des voies. The People’s View, du photographe et artiste néerlandais Rein Jelle Terpstra, donne aujourd’hui à découvrir les autres images, celles prises par ceux qui ont été photographiés par Paul Fusco.
Jean Perret
 
10 CV
[30] page 13

Les automobiles n’ont pas de patrie. Comme les valeurs pétrolifères ou comme l’amour classique, elles passent facilement les frontières. Les Fiat italiennes grimpent sur les rochers de Norvège. Les «techniciens» toujours affairés se font cahoter dans un taxi Renault sur les fondrières de Moscou. Ford est partout: en Australie, au Japon. Les camions américains Chevrolet transportent le tabac de Sumatra et les oranges de Palestine. La 10 CV Citroën fait aussi bien arrêter les passants rêveurs aux vitrines de Piccadilly qu’à celles d’Unter den Linden. (…)

> 10 CV. Dix chevaux-vapeur (Héros-Limite)
Ilya Ehrenbourg
Côté fleuve
[30] page 14

Ils nous ont eus, les Peyzaret! Nous avons dû fuir la cour fraîche où je pouvais travailler. Nous avons dû abandonner le beau marronnier dont je connais chaque branche, dont j’ai vu fleurir les hampes, sans manquer une seule des fleurs. Trois années de suite, sans je crois quitter même une heure la présence de l’arbre. Je connais son ombre au clair de lune, sa royauté verte, comment son tronc sous la pluie se plisse comme le dos d’un hippopotame. Comment l’arbre a froid. Comment se passent pour lui les nuits d’hiver. Quel compagnon de toutes mes heures. (…)

> Journal 1940-1948 (L’Aire)
Monique Saint-Hélier
Home
[30] page 15

Il en va du destin d’un savon que de fondre. Emmanuel Tussore, exposé aux Journées photographiques de Bienne, en use autrement. Il sculpte cette matière friable, faite d’huiles d’olive et de baies de laurier mêlées à de la soude végétale, et photographie ces cubes excavés. Et ce qu’on voit n’est que ruines. À partir de cubes de savon d’Alep, qui serait le plus ancien au monde, synonyme de pureté, l’artiste évoque le terrible destin de la ville et du pays tout entier, les habitations détruites, les vestiges archéologiques écroulés, la mémoire perdue, la mort, l’exil.
Emmanuel Tussore
False positives
[30] pages 16-17

La série False positives est née de l’observation des flux de personnes dans le quartier de la Défense à Paris. Esther Hovers s’interroge sur ce qui construit des modes d’occupation de l’espace si normés. Elle s’intéresse à la surveillance vidéo et réalise que son comportement d’observatrice s’assimile à ce contrôle. Des spécialistes de l’intelligence artificielle lui font découvrir que des caméras sont programmées pour repérer une série de comportements jugés suspicieux dans l’espace public. Ses photographies, prises à Bruxelles, sont des mises en scène à partir de situations réelles. Elle adoptent des points de vue qui seraient pertinents pour l’installation d’une caméra.
Esther Hovers
Prix suisses de littérature
[30] pages 18-21

Le Grand Prix suisse de littérature 2019 a été décerné à Zsuzsanna Gahse, dont La Couleur des jours présente un fragment poétique inédit en français. Le Centre de traduction littéraire de Lausanne (CTL) et Übersetzerhaus Looren, auxquels la circulation des livres entre les langues doit beaucoup, ont aussi été primés. Et le jury a remis sept prix à des ouvrages publiés dans l’année écoulée. Elisa Shua Dusapin (Les Billes du Pachinko, Zoé) et José-Flore Tappy (Trás-os-Montes, La Dogana) ont ainsi été distinguées. En partenariat avec l’Office fédéral de la culture et Bibliomedia, qui organise ce printemps des lectures des lauréats en Suisse romande, La Couleur des jours publie des extraits des ouvrages des cinq auteurs de langues allemande et italienne.
Alexandre Hmine, Anna Ruchat, Patrick Savolainen, Christina Viragh, Julia von Lucadou
 
Cubes danubiens
[30] page 22

Il est parfois d’argent, le Danube, en
allemand deux syllabes, en latin quatre,
tantôt féminin, tantôt masculin,
comme un personnage d’Almodovar,
comme un reflet passant dans le miroir
de Michael Jackson, homme ou femme, avec
un rire intérieur, en aval ce rire
fait des vagues, et dix syllabes fois
dix lignes font un carré du Danube.
Pourtant combien plus beau serait un cube.
(…)

> Cubes danubiens (Hippocampe éditions)
Zsuzsanna Gahse
Un fleuve au cœur des enjeux caucasiens
[30] pages 27-34

L’Ingouri prend sa source au mont Chkhara, point culminant de la Géorgie avec ses 5193 mètres. En 213 km, il dévale les pentes du Grand Caucase, esquisse quelques méandres dans la plaine de Mingrélie et se jette dans la mer Noire, sans traverser aucune cité importante. Il n’a pas spécialement inspiré les écrivains ou les artistes mais il sert de cadre à de nombreuses histoires contemporaines: la douloureuse division entre la Géorgie et sa province rebelle d’Abkhazie, la puissance et la menace de l’énergie hydroélectrique, le tourisme proposé comme remède aux maux politiques et économiques.
Clément Girardot, Julien Pebrel
Insulaire
[30] pages 36-39

Regardez,
droit devant.
Il est là.
Mon petit royaume.
Une île, oui, rien qu’une île,
minuscule bien sûr face à l’immensité qui l’entoure,
mais tellement vaste aux yeux d’un homme
qui jamais n’en vit ailleurs
qu’en peinture ou en songe.
(…)
Anne Golaz, Antoine Jaccoud
Frontières liquides
[30] pages 41-51

Voilà une poignée d’années que l’auteur parcourt la planète pour visiter les lacs internationaux. «La gestion d’un bien commun traversé par une frontière est une approche concrète de ce qu’on pourrait appeler mondialité. J’ai entrepris de visiter quelques-uns de ces lacs. J’essaie de construire à leur sujet une fiction romanesque. J’accumule les traces, je documente mes voyages, le roman avance lentement.» Rien de romanesque dans les textes publiés ici, qui font le récit de trois de ces voyages préparatoires.Daniel de Roulet dévoile pourtant quelques bribes de son écriture romanesque pour une exposition d’art contemporain proposée par la HEAD-Genève dans le cadre du festival Histoire et Cité et qui porte sur les pratiques artistiques d’investigation.
Daniel de Roulet
 
Chronique
Jean-Louis Boissier, Yann Courtiau
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