[43] été 2022
Une lettre pour L
[43] pages 6-7
L’écrivaine genevoise Laurence Boissier est décédée le 7 janvier 2022, emportée par la maladie. Elle manque au collectif Bern ist überall, qui lui rend hommage dans une série de rendez-vous. Elle manque à La Couleur des jours qui a choisi de publier une partie des textes écrits pour cette occasion.
L’écrivaine genevoise Laurence Boissier est décédée le 7 janvier 2022, emportée par la maladie. Elle manque au collectif Bern ist überall, qui lui rend hommage dans une série de rendez-vous. Elle manque à La Couleur des jours qui a choisi de publier une partie des textes écrits pour cette occasion.
Brûler dans la ville
[43] page 10
La dernière fois que je t’ai vue c’était en octobre. Tu portais encore une de tes robes d’été, tu avais froid, surtout à cause du vent. Tes dents souriant vers la mer reflétaient la lumière du soleil qui se couche. Ça te faisait la bouche orange, comme si dedans tout était beau. C’est la dernière image que j’ai de toi, avant que la ville ne s’effondre, qu’il ne reste plus rien. (…)
La dernière fois que je t’ai vue c’était en octobre. Tu portais encore une de tes robes d’été, tu avais froid, surtout à cause du vent. Tes dents souriant vers la mer reflétaient la lumière du soleil qui se couche. Ça te faisait la bouche orange, comme si dedans tout était beau. C’est la dernière image que j’ai de toi, avant que la ville ne s’effondre, qu’il ne reste plus rien. (…)
La déflagration
[43] pages 11-13
24 février 2022: à partir de cette date, tous les écrivains russes ont dû «revoir leur copie». Certains ne peuvent plus écrire, d’autres remanient leur roman en cours, d’autres encore le réécrivent entièrement car le monde a changé, la guerre bouleverse toutes les perspectives.
24 février 2022: à partir de cette date, tous les écrivains russes ont dû «revoir leur copie». Certains ne peuvent plus écrire, d’autres remanient leur roman en cours, d’autres encore le réécrivent entièrement car le monde a changé, la guerre bouleverse toutes les perspectives.
Faire la route
[43] pages 14-15
«Je vole le long de la côte la moins connue d’Italie: je suis happé par un tel bonheur à voir les choses que je deviens presque aveugle», écrit Pier Paolo Pasolini à l’été 1959. Plus de soixante ans après l’écrivain, essayiste et cinéaste, la photographe Chantal Vey fait le même parcours en sens inverse, entre Trieste et Vintimille. Son livre, contro-corrente, chante le désir d’arpenter l’Italie contemporaine à partir de celle vécue par cet homme de conscience, politique et poétique. Et au cœur de ce désir murmurent, tenaces, un deuil de longue haleine, une mémoire douloureuse en éveil.
«Je vole le long de la côte la moins connue d’Italie: je suis happé par un tel bonheur à voir les choses que je deviens presque aveugle», écrit Pier Paolo Pasolini à l’été 1959. Plus de soixante ans après l’écrivain, essayiste et cinéaste, la photographe Chantal Vey fait le même parcours en sens inverse, entre Trieste et Vintimille. Son livre, contro-corrente, chante le désir d’arpenter l’Italie contemporaine à partir de celle vécue par cet homme de conscience, politique et poétique. Et au cœur de ce désir murmurent, tenaces, un deuil de longue haleine, une mémoire douloureuse en éveil.
Revisiter New York
[43] pages 16-21
Novembre 2021.
Depuis quelques jours seulement les États-Unis
acceptent de nouveau les visiteurs européens.
J’en profite.
L’avion de Paris à JFK a de nombreux sièges vides.
Dans l’immense halle de l’immigration
où passagères et passagers
sont d’habitude parqués
en de nombreuses files et chicanes,
il m’est arrivé de trépigner pendant plus d’une heure.
Cette fois, je ne patiente guère,
n’ai droit qu’à une photo de face.
Même pas mes empreintes digitales!
Quand je dis au douanier «touriste pour quinze jours»,
il m’accueille avec un welcome comme si déjà
je me trouvais à la réception de l’hôtel.
(…)
Novembre 2021.
Depuis quelques jours seulement les États-Unis
acceptent de nouveau les visiteurs européens.
J’en profite.
L’avion de Paris à JFK a de nombreux sièges vides.
Dans l’immense halle de l’immigration
où passagères et passagers
sont d’habitude parqués
en de nombreuses files et chicanes,
il m’est arrivé de trépigner pendant plus d’une heure.
Cette fois, je ne patiente guère,
n’ai droit qu’à une photo de face.
Même pas mes empreintes digitales!
Quand je dis au douanier «touriste pour quinze jours»,
il m’accueille avec un welcome comme si déjà
je me trouvais à la réception de l’hôtel.
(…)
L’enfant du tas de fumier
[43] page 23
Reto Hänny est le lauréat du Grand Prix suisse de littérature 2022. Son écriture prend sa source dans les légendes que son grand-père lui racontait à l’alpage.
Reto Hänny est le lauréat du Grand Prix suisse de littérature 2022. Son écriture prend sa source dans les légendes que son grand-père lui racontait à l’alpage.
Le Pas de la Demi-Lune
[43] page 24
L’averse lourde de la nuit s’apaisait avec l’aube et le ciel était assez vaste pour n’être pas partout le même. Une lune incertaine tremblait sur l’horizon. Elle avait, très pâle, le gris-bleu de l’eau savonneuse. Au jardin, des parfums verts s’élevaient à rebours des gouttes de pluie. Shākudo se tenait assise en tailleur dans un fauteuil d’osier, les deux mains refermées sur son bol de porcelaine. Devant elle, les grandes feuilles du bananier acquiesçaient lente- ment, à la façon des ânes qui hochent la tête devant les murs. (…)
> Le Pas de la Demi-Lune (Éditions Verdier)
L’averse lourde de la nuit s’apaisait avec l’aube et le ciel était assez vaste pour n’être pas partout le même. Une lune incertaine tremblait sur l’horizon. Elle avait, très pâle, le gris-bleu de l’eau savonneuse. Au jardin, des parfums verts s’élevaient à rebours des gouttes de pluie. Shākudo se tenait assise en tailleur dans un fauteuil d’osier, les deux mains refermées sur son bol de porcelaine. Devant elle, les grandes feuilles du bananier acquiesçaient lente- ment, à la façon des ânes qui hochent la tête devant les murs. (…)
> Le Pas de la Demi-Lune (Éditions Verdier)
Le col des rencontres
[43] pages 26-27
Tu vivais depuis presque deux ans dans ton pays de là-bas, tu travaillais comme colleur d’affiches depuis quelques mois, tu as pu avoir deux semaines de vacances pendant l’été, tu as décidé de nous rendre visite, tu es revenu dans ton pays d’ici, tu as passé un jour avec moi. Il faisait chaud dans mon studio, je tenais les fenêtres fermées et les rideaux étaient tirés, je lisais la Bible et tu as sonné. Tu étais avec ton oncle, vous étiez chargés de cadeaux pour moi, vous m’aviez apporté des caisses de fruits et de légumes, quelques kilos de viande et du chocolat de ton pays de là-bas. J’étais très content de te revoir, j’avais eu peu de nouvelles de ta part, je savais que tu travaillais dur pour t’intégrer dans le pays qui t’accueillait, tu apprenais la langue de chez eux, tu cherchais un métier convenable, tu avais peu de temps pour te reposer. (…)
Tu vivais depuis presque deux ans dans ton pays de là-bas, tu travaillais comme colleur d’affiches depuis quelques mois, tu as pu avoir deux semaines de vacances pendant l’été, tu as décidé de nous rendre visite, tu es revenu dans ton pays d’ici, tu as passé un jour avec moi. Il faisait chaud dans mon studio, je tenais les fenêtres fermées et les rideaux étaient tirés, je lisais la Bible et tu as sonné. Tu étais avec ton oncle, vous étiez chargés de cadeaux pour moi, vous m’aviez apporté des caisses de fruits et de légumes, quelques kilos de viande et du chocolat de ton pays de là-bas. J’étais très content de te revoir, j’avais eu peu de nouvelles de ta part, je savais que tu travaillais dur pour t’intégrer dans le pays qui t’accueillait, tu apprenais la langue de chez eux, tu cherchais un métier convenable, tu avais peu de temps pour te reposer. (…)
La roue tourne!
[43] pages 28-31
«Il y a le cinéma d’avant et d’après La Roue, comme il y a la peinture d’avant et d’après Picasso», écrivait le poète et cinéaste Jean Cocteau après sa découverte du film. À la fois mythique et maudit, plusieurs fois modifié, raccourci, mutilé, La Roue d’Abel Gance a enfin été restauré dans son intégrité et son intégralité: près de 7 heures de cinéma total, muet, accompagné par une partition symphonique elle aussi rétablie comme elle le fut à l’origine, en 1923. À voir en Suisse, aux Jardins musicaux de Cernier et au Théâtre du Jorat à Mézières, cet été, pour la toute première fois.
«Il y a le cinéma d’avant et d’après La Roue, comme il y a la peinture d’avant et d’après Picasso», écrivait le poète et cinéaste Jean Cocteau après sa découverte du film. À la fois mythique et maudit, plusieurs fois modifié, raccourci, mutilé, La Roue d’Abel Gance a enfin été restauré dans son intégrité et son intégralité: près de 7 heures de cinéma total, muet, accompagné par une partition symphonique elle aussi rétablie comme elle le fut à l’origine, en 1923. À voir en Suisse, aux Jardins musicaux de Cernier et au Théâtre du Jorat à Mézières, cet été, pour la toute première fois.
Marcher dans le sens des images
[43] pages 33-35
Depuis fin 2021, qui marche à Genève rue du Cendrier, le long du Plaza endormi, peut avoir l’impression d’être suivi. Il ou elle comprendra vite que cette impression lui vient des enseignes ovales suspendues au-dessus de sa tête. En trois images, des yeux s’ouvrent ou se ferment. Ce sont clairement des yeux de cinéma. Marion Tampon-Lajarriette fait vivre ainsi l’image en mouvement dans l’espace public. Sauf qu’ici, c’est à nous de bouger. Il faut avancer… et puis se retourner, pour apprécier les trois images au verso, et vivre une seconde micro-histoire.
Depuis fin 2021, qui marche à Genève rue du Cendrier, le long du Plaza endormi, peut avoir l’impression d’être suivi. Il ou elle comprendra vite que cette impression lui vient des enseignes ovales suspendues au-dessus de sa tête. En trois images, des yeux s’ouvrent ou se ferment. Ce sont clairement des yeux de cinéma. Marion Tampon-Lajarriette fait vivre ainsi l’image en mouvement dans l’espace public. Sauf qu’ici, c’est à nous de bouger. Il faut avancer… et puis se retourner, pour apprécier les trois images au verso, et vivre une seconde micro-histoire.
À l’écoute du monde
[43] pages 36-37
Elle est la réalisatrice de Radio Tanner, dont les épisodes prennent place sur leplaza-cinema.ch. Le projet est exemplaire de la subtilité de son travail. Clara Alloing capte les dimensions sonores du monde, y compris ses silences, et nous les restitue en des montages qui captivent nos oreilles. Elle est l’héritière des conteurs et conteuses.
Elle est la réalisatrice de Radio Tanner, dont les épisodes prennent place sur leplaza-cinema.ch. Le projet est exemplaire de la subtilité de son travail. Clara Alloing capte les dimensions sonores du monde, y compris ses silences, et nous les restitue en des montages qui captivent nos oreilles. Elle est l’héritière des conteurs et conteuses.
(Légendes)2
[43] pages 38-39
La série Il était une fois le Plaza se poursuit dans une seconde saison jouant avec la sonorité des noms de personnalités célèbres du cinéma – dont certains des films ont été projetés au Plaza.
La série Il était une fois le Plaza se poursuit dans une seconde saison jouant avec la sonorité des noms de personnalités célèbres du cinéma – dont certains des films ont été projetés au Plaza.
Le Plaza expose ses photographes
[43] pages 40-41
De l’été 2020 au printemps 2021, cinq photographes ont été invités à explorer la salle de cinéma vidée de ses sièges et de ses décors pour livrer des regards personnels sur ce lieu entre deux vies. La Couleur des jours a montré au fur et à mesure des images de leur travail. La curatrice Sarah Zürcher, qui les a choisis et ccompagnés, monte cet été une vaste exposition de leurs photographies dans les lieux mêmes.
De l’été 2020 au printemps 2021, cinq photographes ont été invités à explorer la salle de cinéma vidée de ses sièges et de ses décors pour livrer des regards personnels sur ce lieu entre deux vies. La Couleur des jours a montré au fur et à mesure des images de leur travail. La curatrice Sarah Zürcher, qui les a choisis et ccompagnés, monte cet été une vaste exposition de leurs photographies dans les lieux mêmes.
Jim, Jack, Juliette et les autres
[43] pages 42-44
Dans les rues de la ville, sur les façades des immeubles, des plaques interpellent les passantes et les passants. «Ici vécut Alberto Giacometti», «Ici est né François Simon », «Ici fut assassinée S. M. Elisabeth, Impératrice d’Autriche»… Alban Thomas et son agence CHAT&SA ont repris ce modèle pour éveiller quelques souvenirs cinématographiques chez celles et ceux qui lèvent les yeux vers les immenses bâches sous lesquelles disparaît l’immeuble du Plaza en rénovation. Le graphiste a disposé sur chaque pan une série de clins d’œil, de devinettes, autour de films projetés durant cinq décennies dans cette salle, des films souvent si célèbres qu’on a l’impression de les connaître même quand on ne les a pas vus.
Dans les rues de la ville, sur les façades des immeubles, des plaques interpellent les passantes et les passants. «Ici vécut Alberto Giacometti», «Ici est né François Simon », «Ici fut assassinée S. M. Elisabeth, Impératrice d’Autriche»… Alban Thomas et son agence CHAT&SA ont repris ce modèle pour éveiller quelques souvenirs cinématographiques chez celles et ceux qui lèvent les yeux vers les immenses bâches sous lesquelles disparaît l’immeuble du Plaza en rénovation. Le graphiste a disposé sur chaque pan une série de clins d’œil, de devinettes, autour de films projetés durant cinq décennies dans cette salle, des films souvent si célèbres qu’on a l’impression de les connaître même quand on ne les a pas vus.
Chronique