[51] été 2024
Le Plaza, plus phénix que jamais
[51] pages 7-9
Retour de manivelle
[51] pages 10-11
Tu es chez ton oncle qui a huitante-trois ans et demi, vous êtes cinq autour de la table de la terrasse couverte par un toit en tôle ondulée, ta tante fait une pelote de la laine bleue qu’elle a reçue en cadeau de ta part. Ta cousine et son mari parlent des travaux qu’ils ont encore à faire à leur garage, ton oncle te montre son vélo posé contre le mur de la maison, il te dit «je ne peux plus monter à vélo, je suis vieux, je vais le donner à mon gendre». (…)
Tu es chez ton oncle qui a huitante-trois ans et demi, vous êtes cinq autour de la table de la terrasse couverte par un toit en tôle ondulée, ta tante fait une pelote de la laine bleue qu’elle a reçue en cadeau de ta part. Ta cousine et son mari parlent des travaux qu’ils ont encore à faire à leur garage, ton oncle te montre son vélo posé contre le mur de la maison, il te dit «je ne peux plus monter à vélo, je suis vieux, je vais le donner à mon gendre». (…)
Cahiers argentiques
[51] pages 12-13
En 2016 paraît le numéro 1 d’analog magazine. Pour Daniel Espinoza, son éditeur, s’agissait-il d’une ambition légitime et raisonnable, d’un désir naïf et narcissique ou d’une aventure risquée dans le territoire de l’édition photographique dont on sait la précarité? Une telle revue, publiée en anglais à Zurich et consacrée à la photographie analogique, avait-elle un quelconque avenir?
En 2016 paraît le numéro 1 d’analog magazine. Pour Daniel Espinoza, son éditeur, s’agissait-il d’une ambition légitime et raisonnable, d’un désir naïf et narcissique ou d’une aventure risquée dans le territoire de l’édition photographique dont on sait la précarité? Une telle revue, publiée en anglais à Zurich et consacrée à la photographie analogique, avait-elle un quelconque avenir?
Soi-même comme un chien
[51] page 16
Ma tribu interespèces comptait jusqu’alors quatre êtres humains et deux chats: la mère, le père (c’est moi), deux filles et deux femelles de dix ans. Mais le 27 juin 2020, un canidé de quatre mois débarquait dans ma vie. C’était un samedi soir et nous étions partis le chercher en famille sur les hauteurs alpestres d’Anzère. Les éleveurs, deux braves gens de Soleure, nous regardent partir avec des yeux humides. Deux heures d’auto plus tard, l’animal franchissait la porte de l’appartement en fin d’après-midi, sous les yeux des deux chats médusés, qui se renfrognaient contre les murs telles deux grandes dames du boulevard Haussmann indignées par l’entrée d’un prolétaire crotté. (…)
Ma tribu interespèces comptait jusqu’alors quatre êtres humains et deux chats: la mère, le père (c’est moi), deux filles et deux femelles de dix ans. Mais le 27 juin 2020, un canidé de quatre mois débarquait dans ma vie. C’était un samedi soir et nous étions partis le chercher en famille sur les hauteurs alpestres d’Anzère. Les éleveurs, deux braves gens de Soleure, nous regardent partir avec des yeux humides. Deux heures d’auto plus tard, l’animal franchissait la porte de l’appartement en fin d’après-midi, sous les yeux des deux chats médusés, qui se renfrognaient contre les murs telles deux grandes dames du boulevard Haussmann indignées par l’entrée d’un prolétaire crotté. (…)
Regarder le glacier s’en aller
Schau, wie der Gletscher schwindet
Schau, wie der Gletscher schwindet
[51] pages 17-47
Les glaciers disparaissent. Cette fonte inexorable représente un ébranlement majeur. C’est un élément du paysage culturel, propre à chaque individu comme à l’identité même de la Suisse, qui s’en va. Le sentiment d’une fin du monde se mêle à la découverte de nouveaux écosystèmes.
Regarder le glacier s’en aller adopte le point de vue des artistes. Cette vaste exposition fédératrice et décentralisée à travers la Suisse, dans les institutions d’art comme au plus près des sommets, est née à l’initiative de l’artiste Carmen Perrin, de la journaliste et essayiste Lorette Coen et de l’historien de l’art et commissaire d’expositions Bernard Fibicher.
La Couleur des jours accompagne cette aventure et en propose un volet littéraire plurilingue. Elle est un des espaces de création de la manifestation, au même titre que les musées et centres d’art. On lira dans les pages qui suivent les textes inédits de Daniel de Roulet, Doris Femminis et Usama Al Shahmani, ainsi que ceux du collectif Bern ist überall, qui prendront aussi vie sur scène.
*
Die Gletscher ziehen sich zurück. Dieses unaufhaltsame Schmelzen stellt eine tiefe Erschütterung dar. Ein Bestandteil der kulturellen Landschaft, die zu jedem:r Einzelnen und auch zur Identität der Schweiz gehört, verschwindet. Das Gefühl eines Weltuntergangs vermischt sich mit dem Entdecken neuer Ökosysteme.
Schau, wie der Gletscher schwindet zeigt die Sichtweise der Künstlerinnen und Künstler. Dieses grosse, übergreifende und dezentrale Kunstprojekt der Schweiz, in Kunstinstitutionen wie auch in nächster Nähe der Berggipfel, verdankt sich der Initiative der Künstlerin Carmen Perrin, der Journalistin und Essayistin Lorette Coen und des Kunsthistorikers und Ausstellungskurators Bernard Fibicher.
La Couleur des jours begleitet dieses Abenteuer und präsentiert eine mehrsprachige literarische Auswahl. Sie ist einer der Kreativräume des Projekts, genau wie die Museen und Kulturzentren. In den folgenden Seiten sind unveröffentlichte Texte von Daniel de Roulet, Doris Femminis und Usama Al Shahmani zu lesen, dazu diejenigen des Kollektivs «Bern ist überall», die auch ein Bühnenleben entwickeln werden.
Les glaciers disparaissent. Cette fonte inexorable représente un ébranlement majeur. C’est un élément du paysage culturel, propre à chaque individu comme à l’identité même de la Suisse, qui s’en va. Le sentiment d’une fin du monde se mêle à la découverte de nouveaux écosystèmes.
Regarder le glacier s’en aller adopte le point de vue des artistes. Cette vaste exposition fédératrice et décentralisée à travers la Suisse, dans les institutions d’art comme au plus près des sommets, est née à l’initiative de l’artiste Carmen Perrin, de la journaliste et essayiste Lorette Coen et de l’historien de l’art et commissaire d’expositions Bernard Fibicher.
La Couleur des jours accompagne cette aventure et en propose un volet littéraire plurilingue. Elle est un des espaces de création de la manifestation, au même titre que les musées et centres d’art. On lira dans les pages qui suivent les textes inédits de Daniel de Roulet, Doris Femminis et Usama Al Shahmani, ainsi que ceux du collectif Bern ist überall, qui prendront aussi vie sur scène.
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Die Gletscher ziehen sich zurück. Dieses unaufhaltsame Schmelzen stellt eine tiefe Erschütterung dar. Ein Bestandteil der kulturellen Landschaft, die zu jedem:r Einzelnen und auch zur Identität der Schweiz gehört, verschwindet. Das Gefühl eines Weltuntergangs vermischt sich mit dem Entdecken neuer Ökosysteme.
Schau, wie der Gletscher schwindet zeigt die Sichtweise der Künstlerinnen und Künstler. Dieses grosse, übergreifende und dezentrale Kunstprojekt der Schweiz, in Kunstinstitutionen wie auch in nächster Nähe der Berggipfel, verdankt sich der Initiative der Künstlerin Carmen Perrin, der Journalistin und Essayistin Lorette Coen und des Kunsthistorikers und Ausstellungskurators Bernard Fibicher.
La Couleur des jours begleitet dieses Abenteuer und präsentiert eine mehrsprachige literarische Auswahl. Sie ist einer der Kreativräume des Projekts, genau wie die Museen und Kulturzentren. In den folgenden Seiten sind unveröffentlichte Texte von Daniel de Roulet, Doris Femminis und Usama Al Shahmani zu lesen, dazu diejenigen des Kollektivs «Bern ist überall», die auch ein Bühnenleben entwickeln werden.
Mort de rage
Vor Wut gestorben
Vor Wut gestorben
[51] pages 20-23
Comme chaque matin après sa tasse de café et sa tartine à la confiture d’oranges amères, le vieux s’installe derrière la fenêtre de sa cuisine. Elle donne sur la place. Depuis le cinquième étage, il surveille l’entrée du parking. Dès 5 heures, les camions viennent livrer leur marchandise dans les entrailles du grand magasin. Certains d’entre eux, frigorifiques, laissent tourner leur moteur. Ainsi, dans tous les immeubles qui entourent la place, une douce vibration réveille les habitants qui se permettent de dormir encore. Après les camions, ce sont les clients du paquebot de la consommation qui emprunteront la rampe. (…)
*
Wie jeden Morgen nach seiner Tasse Kaffee und seiner Scheibe Brot mit bitterer Orangenmarmelade setzt sich der Alte an sein Küchenfenster. Hier überblickt er den Platz. Vom fünften Stockwerk aus beobachtet er die Einfahrt zur Tiefgarage. Ab fünf Uhr morgens liefern die LKWs ihre Waren ins Innere des Kaufhauses. Einige von ihnen, die Kühlwagen, lassen ihre Motoren laufen, so dass ein sanftes Beben in allen Häusern rund um den Platz die Bewohner weckt, die sich erlauben, noch zu schlafen. Nach den LKWs werden die Kunden des Konsumtempels die Einfahrt benutzen. (…)
Comme chaque matin après sa tasse de café et sa tartine à la confiture d’oranges amères, le vieux s’installe derrière la fenêtre de sa cuisine. Elle donne sur la place. Depuis le cinquième étage, il surveille l’entrée du parking. Dès 5 heures, les camions viennent livrer leur marchandise dans les entrailles du grand magasin. Certains d’entre eux, frigorifiques, laissent tourner leur moteur. Ainsi, dans tous les immeubles qui entourent la place, une douce vibration réveille les habitants qui se permettent de dormir encore. Après les camions, ce sont les clients du paquebot de la consommation qui emprunteront la rampe. (…)
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Wie jeden Morgen nach seiner Tasse Kaffee und seiner Scheibe Brot mit bitterer Orangenmarmelade setzt sich der Alte an sein Küchenfenster. Hier überblickt er den Platz. Vom fünften Stockwerk aus beobachtet er die Einfahrt zur Tiefgarage. Ab fünf Uhr morgens liefern die LKWs ihre Waren ins Innere des Kaufhauses. Einige von ihnen, die Kühlwagen, lassen ihre Motoren laufen, so dass ein sanftes Beben in allen Häusern rund um den Platz die Bewohner weckt, die sich erlauben, noch zu schlafen. Nach den LKWs werden die Kunden des Konsumtempels die Einfahrt benutzen. (…)
Sherpa e bellezza
Scherpas et beauté
Scherpas et beauté
[51] pages 24-25
Faedo, sette case, un oratorio, qualche stalla, un ponte. È lì che vivo. I prati hanno le gobbe e sono pieni di sassi caduti, per questo la nonna ci proibisce di andare a giocare sotto montagna. (…)
*
Faedo, sept maisons, une chapelle, quelques granges, un pont. C’est là que je vis. Les prés ont de grosses bosses et sont pleins d’éboulis, c’est pourquoi grand-mère nous interdit de jouer sous les falaises. (…)
Faedo, sette case, un oratorio, qualche stalla, un ponte. È lì che vivo. I prati hanno le gobbe e sono pieni di sassi caduti, per questo la nonna ci proibisce di andare a giocare sotto montagna. (…)
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Faedo, sept maisons, une chapelle, quelques granges, un pont. C’est là que je vis. Les prés ont de grosses bosses et sont pleins d’éboulis, c’est pourquoi grand-mère nous interdit de jouer sous les falaises. (…)
Wo der Tod aufhört, beginnt der Gletscher
Quand cesse la mort, le glacier prend vie
Quand cesse la mort, le glacier prend vie
[51] pages 26-29
Januar 2024, ein kalter Nachmittag, es schneit. Vor etwa zwei Monaten bin ich aus dem Thurgau nach Zürich umgezogen. Zürich ist mir nicht fremd, aber seit ich in der Stadt wohne, habe ich das Gefühl, dass fast alles hier passiv ist und dass alle allen fremd sind. Für mich ist das angenehm. Fast nichts passiert hier locker oder zufällig oder spontan. (…)
*
Janvier 2024, après-midi glacial, il neige. Il y a environ deux mois, j’ai quitté la Thurgovie pour m’installer à Zurich. Zurich ne m’est pas étrangère mais, depuis que j’habite en ville, j’ai le sentiment que presque tout y est passif et que tout un chacun est étranger à l’autre. C’est agréable pour moi. Il ne se passe ici presque rien de décontracté, de fortuit ou de spontané. (…)
Januar 2024, ein kalter Nachmittag, es schneit. Vor etwa zwei Monaten bin ich aus dem Thurgau nach Zürich umgezogen. Zürich ist mir nicht fremd, aber seit ich in der Stadt wohne, habe ich das Gefühl, dass fast alles hier passiv ist und dass alle allen fremd sind. Für mich ist das angenehm. Fast nichts passiert hier locker oder zufällig oder spontan. (…)
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Janvier 2024, après-midi glacial, il neige. Il y a environ deux mois, j’ai quitté la Thurgovie pour m’installer à Zurich. Zurich ne m’est pas étrangère mais, depuis que j’habite en ville, j’ai le sentiment que presque tout y est passif et que tout un chacun est étranger à l’autre. C’est agréable pour moi. Il ne se passe ici presque rien de décontracté, de fortuit ou de spontané. (…)
Écrire avec les glaciers
Mit den Gletschern schreiben
Mit den Gletschern schreiben
[51] pages 33-44
À l’invitation de La Couleur des jours, le collectif d’auteur·e·s Bern ist überall participe à Regarder le glacier s’en aller avec une série de représentations nourries de textes inédits, à Genève, Sion et Berne. Selon sa pratique, un accompagnement musical ajoute à la diversité des langues. Les glaciers avaient déjà leur place dans l’histoire du collectif. Ainsi Laurence Boissier (1965-2022), qui a partagé l’aventure de Bern ist überall pendant plusieurs années, leur avait consacré un texte qui ouvre ces pages.
À l’invitation de La Couleur des jours, le collectif d’auteur·e·s Bern ist überall participe à Regarder le glacier s’en aller avec une série de représentations nourries de textes inédits, à Genève, Sion et Berne. Selon sa pratique, un accompagnement musical ajoute à la diversité des langues. Les glaciers avaient déjà leur place dans l’histoire du collectif. Ainsi Laurence Boissier (1965-2022), qui a partagé l’aventure de Bern ist überall pendant plusieurs années, leur avait consacré un texte qui ouvre ces pages.
Le droit de se retirer en toute dignité
[51] pages 45-47
À la source de la vaste manifestation qu’est aujourd’hui Regarder le glacier s’en aller on trouve une recherche artistique de Carmen Perrin. L’artiste en propose une nouvelle étape à Gletsch, tout près du glacier du Rhône. En 2019 déjà, dans une lettre au philosophe français Philippe Descola, que nous publions ici, elle expliquait son projet et son désir de le mener aussi de façon collective, partagée.
À la source de la vaste manifestation qu’est aujourd’hui Regarder le glacier s’en aller on trouve une recherche artistique de Carmen Perrin. L’artiste en propose une nouvelle étape à Gletsch, tout près du glacier du Rhône. En 2019 déjà, dans une lettre au philosophe français Philippe Descola, que nous publions ici, elle expliquait son projet et son désir de le mener aussi de façon collective, partagée.
Chronique