[57] hiver 2025-2026
Un dimanche à Buchenwald
[57] pages 6-7
En lisant ou en regardant les nouvelles de Gaza, je me suis senti chaque jour plus impuissant. J’ai bien sûr signé quelques pétitions pour exiger la reconnaissance de la Palestine, j’ai défilé à plusieurs reprises en criant ma colère, mais tout ça me paraissait vain. J’aurais pu faire le tour du Léman à pied pour récolter des fonds, ou bien taguer le mur d’une banque complice. En tant qu’auteur persuadé du pouvoir (faible) de la littérature, j’avais me semblait-il à la faire résonner dans un autre contexte. Mais où? Mais comment? D’autres plus qualifiés que moi et qui vivaient sur place avaient déjà documenté leur indignation. (…)
En lisant ou en regardant les nouvelles de Gaza, je me suis senti chaque jour plus impuissant. J’ai bien sûr signé quelques pétitions pour exiger la reconnaissance de la Palestine, j’ai défilé à plusieurs reprises en criant ma colère, mais tout ça me paraissait vain. J’aurais pu faire le tour du Léman à pied pour récolter des fonds, ou bien taguer le mur d’une banque complice. En tant qu’auteur persuadé du pouvoir (faible) de la littérature, j’avais me semblait-il à la faire résonner dans un autre contexte. Mais où? Mais comment? D’autres plus qualifiés que moi et qui vivaient sur place avaient déjà documenté leur indignation. (…)
Là où les crachats gèlent au vol
[57] pages 8-9
Je me souviens très bien du jour où c’est arrivé. C’est l’été, je rentre du travail, il fait beau, chaud. Je descends du train. Je me dirige vers la plage. Ma sœur se meurt. On ne sait pas encore quand elle va mourir. Mais on sait qu’elle va mourir dans les semaines, dans les mois à venir. On ne sait pas que ce sera cet été. J’ai mon casque vissé sur la tête, un podcast au fond des oreilles. Il y a cet homme qui déroule la singulière série de péripéties qu’il a traversée alors qu’il était directeur de l’Alliance française à Irkousk, en Sibérie orientale en 2015. (…)
Je me souviens très bien du jour où c’est arrivé. C’est l’été, je rentre du travail, il fait beau, chaud. Je descends du train. Je me dirige vers la plage. Ma sœur se meurt. On ne sait pas encore quand elle va mourir. Mais on sait qu’elle va mourir dans les semaines, dans les mois à venir. On ne sait pas que ce sera cet été. J’ai mon casque vissé sur la tête, un podcast au fond des oreilles. Il y a cet homme qui déroule la singulière série de péripéties qu’il a traversée alors qu’il était directeur de l’Alliance française à Irkousk, en Sibérie orientale en 2015. (…)
Pages quotidiennes
[57] pages 11-14
L’une remplit les doubles pages de son carnet au fil des jours, l’autre redécouvre son travail pictural en le photographiant. Anne Bernasconi et Joëlle Gagliardini dialoguent ainsi une nouvelle fois pour La Couleur des jours.
L’une remplit les doubles pages de son carnet au fil des jours, l’autre redécouvre son travail pictural en le photographiant. Anne Bernasconi et Joëlle Gagliardini dialoguent ainsi une nouvelle fois pour La Couleur des jours.
La sortie des sauvages
[57] page 15
Ça y est, on est arrivées, c’était dans la même grange l’année dernière. Je me sens légèrement étourdie par l’excitation sourde qui nous habite, par la pénombre, par la confusion de nos gestes trop nombreux dans un espace trop exigu. Les hommes sont déjà tous installés, leur lourd costume à leurs pieds. (…)
Ça y est, on est arrivées, c’était dans la même grange l’année dernière. Je me sens légèrement étourdie par l’excitation sourde qui nous habite, par la pénombre, par la confusion de nos gestes trop nombreux dans un espace trop exigu. Les hommes sont déjà tous installés, leur lourd costume à leurs pieds. (…)
Paysage fugitif
[57] pages 16-19
Quand la porte de l’immeuble s’est refermée derrière moi, deux choses sans lien entre elles me sont apparues simultanément: il avait plu, un déluge, le trottoir constellé de flaques qui vibraient encore – et je ne savais déjà plus très bien à quoi ressemblait l’homme dont je quittais à l’instant l’appartement. Je venais de passer plusieurs heures en sa présence, mais c’est comme ça, ma mémoire ne fait pas les visages. Pourtant je me sentais, en contournant les flaques et en pensant à lui, lesté par ses paysages. Et je me suis dit qu’à tout prendre, si je devais ne retenir qu’une chose, il préférerait sûrement que ce soit celle-ci. (…)
> Paysage fugitif (Les Cahiers dessinés)
Quand la porte de l’immeuble s’est refermée derrière moi, deux choses sans lien entre elles me sont apparues simultanément: il avait plu, un déluge, le trottoir constellé de flaques qui vibraient encore – et je ne savais déjà plus très bien à quoi ressemblait l’homme dont je quittais à l’instant l’appartement. Je venais de passer plusieurs heures en sa présence, mais c’est comme ça, ma mémoire ne fait pas les visages. Pourtant je me sentais, en contournant les flaques et en pensant à lui, lesté par ses paysages. Et je me suis dit qu’à tout prendre, si je devais ne retenir qu’une chose, il préférerait sûrement que ce soit celle-ci. (…)
> Paysage fugitif (Les Cahiers dessinés)
Les chaises et autres things
[57] pages 20-21
Mary a 15 ans et Robert 23 quand ils se rencontrent en 1948 à New York. C’est le début d’une histoire d’amour qui saura perdurer malgré des séparations. Le jeune photographe Robert Frank vit à Paris et conçoit en 1949 ces feuillets d’images et de courts textes manuscrits envoyés à New York, où Mary Lockspeiser étudie les beaux-arts. Son scrapbook intime est unique, émouvant par la délicatesse avec laquelle il s’adresse à celle qu’il aime et par l’acuité tendre de son regard porté sur la vie quotidienne. Histoire de l’émergence d’un grand talent. Ces pages, reproduites en fac-similé, sont glissées dans le livre publié aujourd’hui par les éditions Delpire & Co: Robert Frank, Mary’s Book.
Mary a 15 ans et Robert 23 quand ils se rencontrent en 1948 à New York. C’est le début d’une histoire d’amour qui saura perdurer malgré des séparations. Le jeune photographe Robert Frank vit à Paris et conçoit en 1949 ces feuillets d’images et de courts textes manuscrits envoyés à New York, où Mary Lockspeiser étudie les beaux-arts. Son scrapbook intime est unique, émouvant par la délicatesse avec laquelle il s’adresse à celle qu’il aime et par l’acuité tendre de son regard porté sur la vie quotidienne. Histoire de l’émergence d’un grand talent. Ces pages, reproduites en fac-similé, sont glissées dans le livre publié aujourd’hui par les éditions Delpire & Co: Robert Frank, Mary’s Book.
Qui vit encore
[57] pages 23-27
Une carte de Gaza, avec ses villes et leurs quartiers, avec ses camps, neuf lieux de vie esquissés par des rectangles de peinture sur un sol noir. Dans ces contours, neuf personnes réfugiées au Caire racontent l’enfer auquel elles ont survécu, ce qu’elles ont perdu. C’est le principe de Qui vit encore, de Nicolas Wadimoff, en salles fin janvier. Le cinéaste déploie dans ces pages un travail original à partir de rushes et d’extraits du film. Pour trois de ses protagonistes, il a puisé dans les heures de témoignages enregistrés. Eman Shannan, Jawdat Khoudary et Malak Khadra se souviennent de leur vie avant le 7 octobre, puis évoquent les peurs, les deuils et la difficulté à garder cette capacité d’espérer qui a fait la réputation des Gazaouis.
Une carte de Gaza, avec ses villes et leurs quartiers, avec ses camps, neuf lieux de vie esquissés par des rectangles de peinture sur un sol noir. Dans ces contours, neuf personnes réfugiées au Caire racontent l’enfer auquel elles ont survécu, ce qu’elles ont perdu. C’est le principe de Qui vit encore, de Nicolas Wadimoff, en salles fin janvier. Le cinéaste déploie dans ces pages un travail original à partir de rushes et d’extraits du film. Pour trois de ses protagonistes, il a puisé dans les heures de témoignages enregistrés. Eman Shannan, Jawdat Khoudary et Malak Khadra se souviennent de leur vie avant le 7 octobre, puis évoquent les peurs, les deuils et la difficulté à garder cette capacité d’espérer qui a fait la réputation des Gazaouis.
Pour l’amour de Valentine
[57] pages 28-31
Fabien Gaffez est le premier directeur général et artistique du Plaza Centre Cinéma. Découvrons ici son parcours avant de lui laisser la plume pour esquisser l’esprit pop culture de son projet.
Fabien Gaffez est le premier directeur général et artistique du Plaza Centre Cinéma. Découvrons ici son parcours avant de lui laisser la plume pour esquisser l’esprit pop culture de son projet.
Travelling indien
[57] pages 32-33
En 2024, une première exposition de photographies de Simon Edelstein au Plaza était consacrée à la disparition des salles de cinéma dans le monde. Ce deuxième épisode se concentre sur l’Inde, que le photographe et réalisateur a sillonnée en quête de ces monuments du 7e art en voie de disparition.
En 2024, une première exposition de photographies de Simon Edelstein au Plaza était consacrée à la disparition des salles de cinéma dans le monde. Ce deuxième épisode se concentre sur l’Inde, que le photographe et réalisateur a sillonnée en quête de ces monuments du 7e art en voie de disparition.
Le chantier
[57] pages 34-35
Pendant plus de quatre ans, à Paris, Jean-Stéphane Bron a tourné un film documentaire qui raconte la (re)construction d’un cinéma légendaire, l’ancien Paramount Opéra, boulevard des Capucines, sous la direction de l’architecte Renzo Piano. «Dans le huis clos du projet, j’ai voulu faire le portrait poétique et politique d’une société en miniature, dévoilant, sous le rêve du cinéma, le monde du travail avec ses classes, ses hiérarchies.»
Pendant plus de quatre ans, à Paris, Jean-Stéphane Bron a tourné un film documentaire qui raconte la (re)construction d’un cinéma légendaire, l’ancien Paramount Opéra, boulevard des Capucines, sous la direction de l’architecte Renzo Piano. «Dans le huis clos du projet, j’ai voulu faire le portrait poétique et politique d’une société en miniature, dévoilant, sous le rêve du cinéma, le monde du travail avec ses classes, ses hiérarchies.»
Un cinéma aux aguets
[57] pages 36-37
Black Movie répond à nouveau à sa mission dénicheuse et propose un large panorama de films, la plupart inédits et venus de loin, qui ouvrent à d’autres esthétiques, à d’autres réalités, d’autres points de vue que ceux habituellement proposés dans les salles. Chaque année, le festival genevois invite à creuser des genres, des cinématographies et des problématiques particulières. Trois des sections développées en 2026, titrées Les braves, Lutte en classe et (No) Futures sont dévoilées ici, chacune à travers un film phare, par Maria Watzlawick et Pascal Knoerr, qui les ont programmées. Les films choisis ont en commun une inquiétude face au monde, une invitation à ne pas se laisser enfermer dans les rets de régimes ou de sociétés liberticides.
Black Movie répond à nouveau à sa mission dénicheuse et propose un large panorama de films, la plupart inédits et venus de loin, qui ouvrent à d’autres esthétiques, à d’autres réalités, d’autres points de vue que ceux habituellement proposés dans les salles. Chaque année, le festival genevois invite à creuser des genres, des cinématographies et des problématiques particulières. Trois des sections développées en 2026, titrées Les braves, Lutte en classe et (No) Futures sont dévoilées ici, chacune à travers un film phare, par Maria Watzlawick et Pascal Knoerr, qui les ont programmées. Les films choisis ont en commun une inquiétude face au monde, une invitation à ne pas se laisser enfermer dans les rets de régimes ou de sociétés liberticides.
Se souvenir de La Peste rouge
[57] pages 38-39
Romain de Weck avait 13 ans quand les collégiens fribourgeois eurent à remplir un devoir patriotique particulier: assister à la projection de La Peste rouge. De ce jour d’octobre 1938, il gardait un vif souvenir. J’eus la chance de le recueillir et d’être en mesure d’en saisir les enjeux.
Romain de Weck avait 13 ans quand les collégiens fribourgeois eurent à remplir un devoir patriotique particulier: assister à la projection de La Peste rouge. De ce jour d’octobre 1938, il gardait un vif souvenir. J’eus la chance de le recueillir et d’être en mesure d’en saisir les enjeux.
La muraille
[57] pages 40-41
Dans la province de Valence, une longue ligne blanche fend le paysage: une gigantesque muraille, comme une Muraille de Chine espagnole. Construite au début du XXe siècle pour contenir une maladie jugée contagieuse, elle marque encore le territoire comme une cicatrice, reflétant des peurs anciennes. J’ai voulu comprendre ce qu’elle racontait aujourd’hui, en allant à la rencontre de ce territoire et de ses habitants.
Dans la province de Valence, une longue ligne blanche fend le paysage: une gigantesque muraille, comme une Muraille de Chine espagnole. Construite au début du XXe siècle pour contenir une maladie jugée contagieuse, elle marque encore le territoire comme une cicatrice, reflétant des peurs anciennes. J’ai voulu comprendre ce qu’elle racontait aujourd’hui, en allant à la rencontre de ce territoire et de ses habitants.
Surtitrer le vivant
[57] pages 42-43
Initiative du Centre de traduction littéraire de Lausanne, le programme Gilbert Musy a honoré cette année Christilla Vasserot. À l’automne, la traductrice et maître de conférences à la Sorbonne Nouvelle a inauguré ses deux mois de résidence au Château de Lavigny par une conférence à la Comédie de Genève. Intitulée «Du texte au plateau et vice-versa», elle portait sur les spécificités de son travail de traduction pour le théâtre, à travers le cas emblématique du surtitrage et de contraintes de lisibilité, de concision et de simultanéité qu’il impose. Le texte proposé ici prolonge sa réflexion en s’appuyant sur plusieurs exemples tirés de spectacles de l’auteur-metteur en scène hispano-argentin Rodrigo García.
Initiative du Centre de traduction littéraire de Lausanne, le programme Gilbert Musy a honoré cette année Christilla Vasserot. À l’automne, la traductrice et maître de conférences à la Sorbonne Nouvelle a inauguré ses deux mois de résidence au Château de Lavigny par une conférence à la Comédie de Genève. Intitulée «Du texte au plateau et vice-versa», elle portait sur les spécificités de son travail de traduction pour le théâtre, à travers le cas emblématique du surtitrage et de contraintes de lisibilité, de concision et de simultanéité qu’il impose. Le texte proposé ici prolonge sa réflexion en s’appuyant sur plusieurs exemples tirés de spectacles de l’auteur-metteur en scène hispano-argentin Rodrigo García.
Chronique


